Au cours de mon itinéraire le long de la côte de Nouvelle-Aquitaine (Nos châteaux de sable ne meurent pas avec l’été), j’ai constitué une large série de photographies imprimées au format carte postale. Il se dégage de ces clichés une impression de douceur, de calme, des couleurs pastel qui refusent une iconographie de la catastrophe. Je manipule ces photographies lors d’une lecture-performée, à la manière de clichés de vacances que je ré-assemble. Des paysages, des horizons se recomposent au fil du texte lu. Ce récit subjectif est entrecoupés de chiffres et de définitions qui quantifient le recul du trait de côte. Abstraits, ils sont détournés et créent des décalages avec les images qui s’empilent. Le texte évolue en fonction des lieux où il est lu ainsi que des nouveaux chiffres mis au jour par les scientifiques.
[...] Tes yeux plissés fixent l’horizon qui n’en finit pas de menacer, te tient en éveil. C’est un château avec vue sur la mer. Un château fort, ancré, plombé, serein. Tu tiens ta position au gré des vents, des tempêtes, des victoires et des défaites, tu surveilles la frontière mouvante, traître, la protèges. Tu es un roc et autour de toi, ce sera toujours les autres qui plieront.
On dit « bétonner ». Construire en béton, rendre solide et sûr. Ou, pratiquer un jeu défensif. Le béton, obtenu par liaison d’agrégats, pierres, sable, au moyen de pâtes faites de ciment et d’eau. Parfois armé, renforcé par de l’acier. Également, symbole de la solidité, de la résistance, de la contrainte.
On dit mégalomanie, surestimation de ses capacités, se traduit par un désir immodéré de puissance. On la nomme couramment « la folie des grandeurs ». C’est le deuxième délire le plus courant après les délires de persécution. Ambition, orgueil, goût du grandiose, du colossal.
Tu es à l’avant-poste, tu ne peux pas bouger. En face, il y a l’envahisseur, et le face à face se prolonge. Des yeux tu cherches, tu cherches partout, tu sais qu’il est quelque part, tu sais bien qu’ils arrivent. Et tu sais bien aussi que la mer n’est pas aimable. Tu ne peux quitter l’horizon du regard, redoute même de cligner des yeux. Le picotement crée comme un mirage, jusqu’au vertige et l’horizon commence à bouger devant toi. [...]
Extrait de la performance (texte lu)
Texte : Anaïs Marion
Crédits photographiques : Anaïs Marion
© Adagp, Paris