[...] Comme souvent, j’utilise des rebuts, ou parfois même des objets voués aux ordures, des déchets. En 2000-2001, je menais l’assaut contre une commode que j’ai intitulée Louis Caisse, c’était un meuble abandonné. Ce qui m’avait frappée c’est cette copie d’un Louis Philippe, en bois de Malaisie, lui-même imitation du noyer. Je me suis intérrogée sur des notions comme la facture, le leurre, le faux. J’ai alors entrepris la répétition d’un geste comme ça, un peu infernal en tous cas décalé. Par cloutage, violent, impulsif, au moyen de clous, semences et broquettes de différentes tailles, j’ai attaqué le bois, et réalisé comme une espèce de contagion, une contamination qui prolifère et qui déborde à même le sol.
Elle est constituée de milliers de boutons, de provenance et nature diverses, certains sont en bois, d’autres en nacre, en os, en plastique, en résine.J’avais déjà rencontré ce mariage complètement improbable du minéral et du végétal dans la terre des forêts du Lot-et-Garonne, où étaient autrefois déversés les rebuts des manufactures de boutons de nacre.
En fait, j’avais déjà cette volonté de créer un vertige optique car si l’on y regarde de près, on peut voir l’organisation des couleurs, à la manière de pixels ronds. Cela a ensuite dérivé, sur l’ensemble Louis Caisse, qui est constitué d’un bureau avec une chaise et des présentoirs à fruits en olivier. Les clous viennent presque se superposer aux espèces de petites tranchées qu’opèrent les parasites, les cussons. En somme une autre forme d’attaque, un rongement. Le meuble de chevet Louis Caisse, plus petit, propose une concentration dans les couleurs, une organisation où l’on distingue sur une partie du meuble des tons plutôt rouges, rosés et sur d’autres parois une dominance bleue et verte [...]
Extrait d’un entretien de Chantal Raguet, mené par Hélène Squarcioni, 2008
[...] Comme une infiltration sournoise, au cœur d’un édifice de type patrimonial classé Monument Historique, il s’agit bien pour Ultravirus d’une expérience de contamination. J’ai pensé l’intrusion discrète des œuvres davantage comme un glissement de statut plutôt qu’un rapport de force ou d’échelle face à cette bâtisse monumentale. La notion de pourriture noble a eu sa place, soit considérer au départ un champignon d’attaque qui maîtrisé se transforme finalement en qualité. C’était un peu le même processus repérable dès 2000 dans la série des Louis Caisse, meubles abandonnés aux parois cloutées de boutons. Loin d’une composition, ils sont une proposition de contagion explosive, d’un type d’ordre proliférant, découlant d’un geste acharné et répété jusqu’au vertige optique. On les retrouve par exemple dans la Tour de l’Oratoire, près des gravures bouillonnantes de l’Apocalypse de Dürer [...]
Chantal Raguet