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Arnaud Labelle-Rojoux

Je me disais, au moment où l’on m’a commandé ce texte, que la nature « technologique » du travail de Bertrand Dezoteux me permettrait certainement d’évoquer, pour les comparer, d’autres créateurs de son âge, dont les œuvres sont fondées sur l’animation dernier cri, mais cela plutôt avec crainte, m’interrogeant sur ce que je pourrais bien dire de la technique même. A revoir l’ensemble de ses vidéos, rien ne vient de ce côté-là, heureusement ! Ce n’est, en effet, évidemment pas par ce biais, serait-il pourtant essentiel, qu’il me semble pertinent d’aborder les pièces de B. Dezoteux, celui-ci s’affranchissant avec insolence du prestige supposé de la technologie numérique. On parlera donc de façon plus juste de collages narratifs improbables, voire de bidouillages de faible virtuosité. Quant à la comparaison avec d’autres réalisateurs arty de sa génération, j’ai beau chercher, je n’en vois pas ! Artiste pas mort, donc !

Car oui, si l’arsenal de ses trouvailles visuelles étonnantes se niche dans les technologies sophistiquées, sa singularité, celle qui fait de lui un artiste, réside dans un mélange de leur contre-emploi et de leur suremploi systématiques, au service d’un imaginaire débridé caracolant de surprise en surprise. La première réalisation que j’ai vu de lui, L’Histoire de France en 3D (2012), m’avait à la fois déconcerté et réjoui. On y voyage, en compagnie d’un Jules Michelet (place 55), étrangement ceint d’une écharpe tricolore, et d’un Roland Barthes en pull jacquard anthracite (place 53), tous deux aux faciès handicapés, à bord d’un TGV reliant son Pays basque natal à Paris. Le train traverse dare-dare, « depuis les dinosaures jusqu’aux années 80 » des paysages d’un surréalisme de cartoons faits de fromages géants et de villes aux architectures de parcs d’attraction, cependant que la voie semble, comme dans les westerns, se construire devant lui. On y croise un troupelet de joggers argentés (ou plutôt de logos de joggers), un croissant aux allures de crustacé inquiétant, et un renard affamé au museau ingrat et au pelage de berger allemand, quêtant cinq francs pour s’acheter des cigarettes, qui réussit sans flatterie à récupérer un camembert généreusement cédé par le corbeau de La Fontaine. Plus mystérieux, et fable sans doute aussi, Le Corso (2008), découvert ensuite, proche sur le plan stylistique de L’Histoire de France en 3D, mais antérieur donc de quatre ans, met cette fois en scène un troupeau de chèvres approximatives dotées de la parole (et du sens des affaires), qui rencontrent, là encore après une course à travers des paysages « virtuels » souples, une parade étrange, constituée de personnages souvent hybrides aux mouvements robotiques. Élucubrations visuelles, les pièces de B. Dezoteux, fertiles en jeux de références (enrichis des univers graphiques propres à l’informatique), pourraient se transformer en exercices de style, s’il n’y maintenait deux données très personnelles, que l’on retrouve de vidéo en vidéo : l’humour inopiné, et un bon usage de l’inscription culturelle. Comme dans Txerri (2008) dans lequel un couple de cochons très roses et très obscènes en images de synthèse, lâchés dans un village basque, créent la confusion auprès de ses habitants bien réels (chasseurs, groupes folkloriques, joueurs de pala). Attention : chef d’œuvre bizarre !

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