Le Musée des Arts Décoratifs est riche en ornements, tableaux, cadres, tissus, objets à contempler. Je me suis promenée parmi ces multiples et habiles travaux d’artisans. J’ai dirigé ma rêverie à travers les influences du commerce triangulaire, autour d’un engouement d’une certaine perversité... J’ai prélevé gravures, boiseries, céramiques, faïences, pots à tabac ou d’apothicaires, porcelaines, singeries et tapis indopersans de couleur bleue. J’ai répertorié 41 horloges, pendules ou montres dans le musée. Un rapport au temps si fort dans un lieu d’une telle fixité m’a paru intriguant. Aussi j’apporte quelques centaines de cadrans supplémentaires. Je réalise ainsi le Coussin-Fakir, présenté dans le Salon des Panoramiques, en référence aux monstrations d’hommes exotiques. Un ouvrage de dame, de satin et de velours bleu. Je l’ai fabriqué comme une pièce de broderie particulière. J’aime le doute qui peut s’installer. Est-ce un objet d’ici ou d’ailleurs ? Du galuchat ou réellement des émaux ?
Chantal Raguet
Ce galuchat géant est constitué de cadrans de montres anciennes présentées à l’envers côté contre-émail et brodés au fil d’acier. Furieusement esthétique et parfaitement inconfortable, cet ouvrage de dame SM à la broderie hardcore propose des points à l’endroit pour un temps à l’envers.
Laure Féloneau
Extrait de La couture au marteau
Je considère le Château de Monbazillac, recensé au titre des Cent Sites Remarquables du Goût de France, comme un décor parfait, dans le sens moral de ce qui sied et convient aux normes et aux goûts.
J’ai sélectionné des pièces innocentes en apparence. Je les ai choisies à la fois pour ce qu’elles renfermaient de quotidien voire de familier et surtout en misant sur leur potentiel réactif. C’est l’abandon de la fonction au profit de la critique. C’est en ce sens que je parle d’un décoratif transgressif. Le cadre peut avoir son importance afin que la désobéissance par rapport aux codes établis se perçoive. C’est ce décoratif qui m’autorise un espace en dissidence avec l’ordre attendu ; d’une position de résistance jusqu’à une forme d’insolence. Plus le contexte est chargé en singularités architecturales, en répertoires stylistiques, en particularités de factures plus je peux effectuer des va-et-viens, faire écho, rebondir, souligner des origines, des techniques et réactiver des fragments d’histoire troubles.
C’est le cas pour le Coussin-Fakir sur le lit de la Vicomtesse qui peut passer pour un simple coussin brodé au motif galuchat géant mais par ses pics hérissés des cadrans de montres XVIII ème qui le constituent, il renvoie à l’inaccessible des collections d’objets des Musées des Arts Décoratifs. Il peut tout autant faire allusion par son côté fakir au statut des Blacks de la Troque, exhibés en tant que curiosités dans les salons bourgeois alors qu’ils participaient grandement à l’assise économique de Bordeaux.
Chantal Raguet
Le Coussin-Fakir (2000-2001), de Chantal Raguet a aussi quelque chose d’existentiel, dans son rapport au temps. De satin et de velours, fabriqué comme une pièce de broderie, il oscille entre élégance et inconfort. des centaines de cadrans de montres anciennes retournés ont été cousus sur le coussin, procédé infligeant un regard « aveugle » sur le temps qui s’écoule. Le tout est à double tranchant : la préciosité et l’élégance de l’ouvrage de dame sont entravés par l’agressivité des clous retournés pour retenir les cadrans. dans ses différentes sculptures, l’artiste interroge la notion du décoratif, détourne les objets et pointe le basculement de leurs usages...
Aurélie Voltz
Extrait du livret d’exposition