Vostok

> A propos du projet Vostok / entretien avec l’artiste

À la différence de la lumière, le son ne se propage pas dans le vide. Toute notre connaissance de l’univers nous provient de la lumière (et bien sûr des ombres aussi). Il peut donc sembler paradoxal d’essayer de parler de l’univers en son.

Remarquons cependant qu’en parlant de lumière, nous avons en tête toutes les ondes électromagnétiques (radio, visible, infra-rouge, ultra-violet, X,…) qu’utilise aujourd’hui l’astronomie. Ces ondes ont des similarités et des différences avec les ondes sonores. Dans notre vie courante, elles sont utilisées pour véhiculer du son, puisque lorsque l’on écoute la radio, les ondes qui se propagent et qui sont captées par notre radio sont des ondes électromagnétiques radio (!) transformées en son par notre « radio ».

Pour toutes ces ondes électromagnétiques en dehors de ce que peut voir notre oeil, nous utilisons des représentations en « fausses couleurs » pour faire des images. Ainsi nous n’avons pas accès au signal lui-même mais à une représentation de ce signal dans des longueurs d’onde auxquelles notre oeil est sensible. Un des grand progrès de l’astrophysique réside dans cette aptitude à aller au-delà du sensible et de l’apparence pour utiliser des signaux inaccessibles à notre perception sensorielle. Les images en fausses couleurs de ces observations permettent aux scientifiques de développer une intuition des phénomènes physiques et du comportement de l’univers.

Peut-on imaginer la vision de l’univers que nous aurions développée si l’humanité n’avait pas eu l’oeil à sa disposition mais seulement l’oreille ? Comment les scientifiques auraient-ils traduit leurs observations dans leur domaine sensoriel afin de pouvoir se les représenter, étape nécessaire pour développer une intuition ? C’est une question que ce projet veut aborder : traduire en son des phénomènes observés en ondes électromagnétiques, mais aussi des phénomènes et des idées théoriques concernant l’univers.

Le thème directeur du projet est donc de raconter l’histoire de l’univers, ou de parler de certains évènements ou phénomènes astrophysiques à travers le son. Ainsi, nous affrontons de face le paradoxe que le son ne se propage pas dans le vide afin d’utiliser la musique pour illustrer la nécessité de la science d’aller au-delà des apparences et des intuitions sensorielles. Pour cela, nous pouvons transformer des signaux astrophysiques observés ou calculés dans des bandes de fréquences accessibles par notre oreille. Une autre possibilité est de se baser sur des correspondances entre types de phénomènes et types de son. Soulignons cependant que la musique ne sera pas une simple illustration des résultats scientifiques mais s’en inspirera afin d’atteindre une dimension poétique et artistique dépassant les résultats scientifiques.
Le travail sonore débute donc par la constitution d’un système de correspondances, de l’identification et de la classification des phénomènes astrophysiques au choix des fréquences et des types de sons à utiliser. J’utilise des sons concrets (enregistrement de sons du quotidien, captations extérieures, improvisation avec des objets musicaux) mais aussi des sons de synthèse, notamment des sons analogiques provenant de synthétiseurs modulaires Moog. Ces instruments étaient d’un grand intérêt pour notre projet pour leur chaleur et leurs sons mais aussi pour leur encrage dans les références au premier reportage télévisuel sur l’espace entre autre.

Cette collecte sonore constitue la matière première d’une composition structurée en une série de scénettes. Chacune de ces scénettes est construite comme une pièce radiophonique. Grâce à des traitements numériques, les sons, les mots ou les phrases s’articulent pour former le scénario, s’entrechoquant, se mélangeant ou bien se fixant. Le processus musical vise à créer un univers nouveau, en mouvement, composé à la fois d’éléments abstraits inouïs et d’éléments bien connus, familiers à l’oreille humaine.
Cette composition est diffusée sous la forme d’une installation et occupe de manière exclusive un espace cabine d’écoute conçu spécialement. Le spectateur auditeur pénètre dans cette cabine, une mini-salle de concert pouvant recevoir jusqu’à six personnes, espace de diffusion, de projection sonore clos, plongé dans une semi-obscurité afin de se concentrer un maximum sur le son. L’auditeur peut s’asseoir, se coucher au sol et est entouré par six haut-parleurs afin d’appréhender la pièce dans toute ses dimensions. La projection sonore a pour but de faire circuler le son dans toutes les directions et de créer un effet immersif, d’avoir le sentiment d’effectuer un voyage spatio-temporel.

Bande sonore de l’installation Vostok, 2010
Installation sonore
Collection du Centre national des arts plastiques / CNAP
Conception / Projet / Pièce sonore / Spatialisation : Eddie Ladoire
Réalisation de la cabine d’écoute : L’Atelier Van Lieshout (Rotterdam)
Contenu scientifique : Jean-Philippe Uzan, astrophysicien
Production Fondation 93
Coproduction sonore MA Asso

Vue de l’exposition Vostok, Cité des Sciences et de l’Industrie, 2010
Crédit photographique : one more studio-Paris : Sébastien Agnetti / Cité des Sciences et de l’Industrie
Vue de la cabine sonore dans les ateliers de la Fondation 93
Vue de la cabine sonore dans les ateliers de la Fondation 93
Vue de la cabine sonore dans les ateliers de la Fondation 93
Dessin préparatoire
© Eddie Ladoire / L’Atelier Van Lieshout