"Fluorine est le prénom de la femme masquée, aux différentes couleurs de peau qui traverse un champ de maïs desséché. Elle est dévêtue et une fausse fourrure d’hermine couvre ses épaules. Entre ses jambes elle transporte un jardin médicinal. Dans sa valise elle a embarqué son écureuil qui est son animal de compagnie qu’elle a harmonisé aux couleurs de ses ongles. Comme des rideaux ses jambes ouvrent l’espace du champ de maïs, sec, hostile, elle y trace son propre chemin suivant sa propre direction. Le corps est fragile, sensible, mis à nu, il s’expose aux blessures des feuilles tranchantes, cela explique le risque et la détermination de notre protagoniste. En guerrière, elle sait se battre et se protéger. Son poignard qu’elle tient du bout de l’ongle, lui sert à ouvrir la voie, et à se défendre, ses chaussures peuvent être des armes. Cette figure écoféministe nourrit de ses fluides et sa féminité un jardin luxuriant, fertile, composé de fleurs et de plantes médicinales vivantes et de fluorine. La fluorine est un halogénure minéral composé de fluorure de calcium. Il est utilisé dans les rivières pour remonter à la source. Ce mot signifie « flux » et a donné son nom à son élément constitutif le fluor. Ce minéral est très fréquent, on le retrouve dans d’importants gisements. La fluorine se présente dans un large éventail de couleurs et est connu comme le minéral le plus coloré au monde. On peut y lire une référence à la figure du peintre et à sa palette colorée.
Si dans plusieurs peintures comme par exemple dans no Taxinomi(e), la question du genre est fluide pour Muriel Rodolosse, ici le genre féminin est mis à l’honneur. À travers la représentation de la culture intensive du maïs on peut lire une critique des conséquences du patriarcat des décennies passées. La verticalité des tiges et les épis érectiles que l’on castre, c’est-à-dire auquel on enlève les fleurs mâles afin de contrôler la pollinisation pour s’assurer que les fleurs femelles soient fécondées par les fleurs mâles qui donneront les épis. Le champ de maïs symbolise le constat du désastre écologique lié au manque d’eau et à la monoculture intensive. La femme se déploie en actions positives. Fluorine est libre, battante, déterminée, protectrice du vivant, guérisseuse."
Production CAC Château des Adhémar, On the ruins of the pizzeria, 2014, est à la fois le titre de l’exposition personnelle de Muriel Rodolosse au centre d’art contemporain Château Adhémar et celui de ce tableau monumental de 5,20 x 7 m qui est la représentation d’une exposition fictive. Les éléments d’architecture qui sont représentés sont un re-souvenir du centre d’art contemporain la Chapelle Saint-Jacques à Saint-Gaudens où l’artiste a déjà exposé.
L’œuvre offre au regard une vue partielle de la nef avec suffisamment de recul pour en apprécier les dimensions et une partie de son architecture. Une peinture imposante est accrochée sur la cimaise frontale. Elle la recouvre entièrement. Une autre peinture est exposée sur le quart inférieur de la cimaise latérale gauche.
Un couple, traité avec un effet trompe l’œil accentué, est posté devant la grande peinture qui donne à voir les ruines calcinées d’une pizzeria. Et c’est là où le scénario se corse, car les décombres noircis par les flammes ont été retenus pour servir de décor à une exposition. On distingue un mur clair, au centre de la composition, sur lequel semble être accrochée une œuvre en deux dimensions, ce panneau publicitaire vierge et blanc évoquant la toile du peintre ou la cimaise, le caisson d’une enseigne lumineuse renvoyant à la caisse américaine ou à l’encadrement d’une œuvre, ces trois volumes miniatures installés au sol derrière les barrières sur la partie inférieure droite de la peinture.
Si cet ensemble de pièces reste volontairement peu identifiable et son statut indéterminé, sa mise en scène, quant à elle, est plus explicite.
Le restaurant italien n’existe plus et les ruines sont temporaires. Nous ne sommes ici ni "avant", ni tout à fait "après". Et c’est dans cet entre-deux, cet état intermédiaire que se déroule l’exposition. Comme si la ruine et elle seule réunissait les conditions sine qua non pour accueillir cette expérience.
On retrouve dans On the ruins of the pizzeria ce qui caractérise la recherche actuelle de l’artiste : un espace mental complexe, une architecture anguleuse qui entretient des rapports avec la sculpture, la volonté d’inscrire son travail en lien avec les caractéristiques de l’endroit où il est montré et cette façon de mettre en abyme le propos général au sein de l’espace fini du tableau : la peinture dans la peinture, l’espace dans l’espace, l’exposition dans l’exposition, etc.
Sa monumentalité et sa construction invitent à s’interroger en tant que spectateur sur la manière de se positionner dans l’espace, d’où regarder et sur ce que l’on regarde vraiment. La mise en abyme des sujets et la dimension du tableau qui l’accueille entrainent une perte des repères et créent ce déplacement entre le dedans de l’œuvre et son dehors. On the ruins of the pizzeria déborde de ses limites et confond les lieux et le statut des œuvres. Elle met au travail de façon réflexive le contexte, l’accrochage, l’espace, la peinture, la sculpture, l’installation et l’exposition. »
Cyril Vergès
janvier 2014
© Adagp, Paris