Bien que l’imposante installation de Julie Chaffort, qui donne son titre à son exposition personnelle à la fondation Bullukian, s’intitule Somnambules, les personnages qui la hantent paraissent plutôt être atteints de somniloquie. Yeux ouverts, les êtres isolés qui apparaissent alternativement sur les trois écrans de projection ne se promènent que peu. Mais les bouches d’abord closes s’ouvrent pour laisser place à des chants que chacun des six protagonistes vient déclamer a capella, dans un environnement pour le moins surprenant. Derrière Grannhild, entonnant un cristallin « Voyage voyage », la soprano Jeanne Crousaud interprétant le poignant « When I’m laid » du Didon et Énée de Purcell, ou encore Wladimir Rehbinder, chef de chœur d’une église orthodoxe, psalmodiant un stichère, se meuvent dans le vent des ciels clairs ou sombres sur lesquels se dessinent des paysages verdoyants. Comme dans d’autres vidéos de Julie Chaffort,
Jour blanc ou La barque silencieuse, des personnages presque muets s’expriment par des mouvements du corps ou des élans musicaux ; ils prennent place dans des espaces naturels suspendus, d’avant ou après la tempête. Les performances musicales des acteurs – à ne pas entendre comme des prouesses mais plutôt comme des prises de risque – se veulent bien plus émouvantes qu’époustouflantes. On songera par exemple à celle du chanteur de death metal Josh Smith, acceptant de déclamer ses compositions sans décorum, avec pour seul public une étendue vibrante de fougères baignée par un ciel blanc.
Camille Paulhan
images extraites de la vidéo
vues de l’installation
crédits photographiques : Julie Chaffort
© Adagp, Paris