Salomé II

Salomé II, 2014
Environnement 3D : rotring, Photoshop, 3DSmax
Œuvre réalisée en collaboration avec Benjamin Chavigner

 

 

Elle commençait à se balancer sur ses longues jambes, son bassin ondulait en un rythme audible d’elle seule. La peau ferme de son corps adolescent apparaissait par à-coups entre son jean taille basse et son haut moulant. Ses longs cheveux blonds méchés reflétaient la lumière bleutée en des ondoiements verdâtres. La bouteille de bière qu’elle agrippait au bout de son bras servait de balancier à son délire. Ils la regardaient sourire, ses yeux les harponnaient un à un de leur lueurs lubriques suintant jusqu’à la commissure de ses lèvres qui s’humectaient toujours plus à mesure qu’elle reprenait des gorgées au goulot. Elle fermait les yeux par intermittence, fredonnant pour elle seule un air destiné à l’encourager dans ses tortillements lascifs. Ils se jetaient des regards moqueurs, ses mouvements rappelaient à ceux qui en avaient eu l’expérience la moiteur de sa chatte épilée. On ne distinguait pas clairement les gestes que certains esquissaient vers l’entrejambe de leur pantalon trop grands qu’ils portaient bas de sorte que leurs caleçons apparents bouffaient harmonieusement. Ils mimaient ouvertement des gestes obscènes à cet endroit de leur défroque qu’une ceinture à la boucle démesurée retenait. Ces bijoux, parfois ornés de strass, scintillaient quand les mouvements de la danseuse laissaient la lumière du réverbère avec laquelle elle jouait, réfléchir le métal pauvre.

 

 

Il n’osait pas s’attendrir, elle était par terre, les vomissures s’accrochaient à ses cheveux telles des lambeaux de terre meuble. Elle rigolait encore, se traînant à quatre pattes, elle avait essayé de trouver l’eau avec laquelle elle aurait pu laver les traces de son déshonneur cosmétique mais n’avait réussi qu’à se barbouiller le bas du visage d’eau croupie et retrouver sur ses mains le résidu poisseux des algues stagnantes. Il la regardait désormais avec dégoût ôter par petites poignées le dégueulis grumeleux parant sa chevelure et le récolter au creux de ses mains pâles. Adossée au béton froid elle continuait de lui sourire avec séduction l’invitant à prendre place à côté d’elle et partager sa béatitude éthylique. Son regard figé d’horreur ne retenait pas la drague impudique qu’elle continuait de jouer en façonnant entre ses mains la matière spongieuse, entreprenant d’en éliminer toutes mouillures par compresses méthodiques. Les autres ne l’avaient pas suivi quand elle était partie en courant dans un autre endroit sombre, les cliquetis de ses talons désormais boueux ne couvrant pas ses haut-le-cœur écœurants.

 

 

Ils avaient ramené les bières, les avaient cherchées à la lueur de leurs portables, se galvanisant à travers leurs blagues salaces, goguenards à l’idée de pouvoir capturer le coït crasseux qu’ils s’imaginaient surprendre dans les pixels obscurs de leurs appareils. S’asseyant en cercle autour d’eux sur le bitume merdeux, ils avaient été déçus de leur intimité sage mais heureux d’avoir retrouvé une nouvelle cible alimentant leurs jeux de vannes régulières. Ils la trouvaient toujours aussi belle mais sale, et se gaussaient chacun à tour de rôle de son état de décrépitude duquel elle ne semblait pas se rendre compte. Elle riait avec eux, les reprenait dans leur description d’elle-même, sans les contredire elle rajoutait des adjectifs à leur mépris collectif pour encourager leur créativité la plaçant sous les feus olivâtres d’une lugubre rampe. Ses ongles noirs créaient un dégradé bien net sous sa manucure à mesure qu’elle les enfonçait dans des petites figurines de terres pour leur graver des yeux.

 

 

 

Elle s’était réveillée la joue trempée de sa propre salive imbibant au niveau de l’épaule le sweat bleu marine du garçon sur lequel elle reposait. La nuit étaient encore profonde. Elle étirait ses membres engourdis en de gestes langoureux adoptant l’attitude ininterrompue de midinette dépravée jusque dans ses instants les moins maîtrisés. Elle esquissa le geste d’enlacer son partenaire pour lui donner un baiser. Ses lèvres ne trouvèrent pas le profil escompté et tandis qu’elle essayait de remonter le chef du jeune homme pour le narguer de sa tendresse ses doigts ne rencontrèrent qu’une boue molle et tiède. Le tissu n’était plus qu’un marécage pâteux et en un cri aigu elle repoussa le corps qui s’affala sur lui-même quand elle ne put que constater l’absence de sa tête. Apeurée et frissonnante elle cherchait du regard les masses sombres de ses compagnons de nuitées qu’elle ne reconnut nulle part. Identifiant près du mort son visage grimaçant elle le ramassa délicatement, le cala contre sa poitrine comme un nouveau-né, debout, perdue, elle berça la tête, lui murmurant une comptine entre ses larmes et entreprit de la laver dans la même eau stagnante où elle avait vomi.

Lou-Andréa Lassalle-Villaroya

Texte narratif accompagnant le projet

 

Salomé II, 2014 (détails)
Dessins, rotring sur papier, colorisation numérique, intégrés à l’environnement 3D

 

À consulter : le texte narratif de Laurie Charles, 2014