Depuis les vergers de Damas, à quelques racines encore un peu
de terre accrochée,
de quoi pouvoir s’établir à nouveau, poursuivant l’ouest.
Racines errantes, vagabondes, qui croissent, s’étoffent,
se multiplient et se mélangent,
au gré des lieux traversés, des cultures partagées.
Racines multiples, ouvertes. Non enfouies.
Qui se déploient à la surface, en pleine lumière.
Arborescence universelle. D’eau, d’artères, de nerfs…de vaisseaux.
« Par la pensée de l’errance nous refusons les racines uniques
et qui tuent autour d’elles :
la pensée de l’errance est celle des enracinements solidaires
et des racines en rhizome. » {note}1
Mes racines ne sont pas ce qui me retient mais ce qui me constitue.
Ce qui fait ma complexité et me permet d’aller à la rencontre
de l’ailleurs.
De plus robustes comme des plus fragiles, qui me rattachent
à ma mémoire réelle ou imaginaire.
Elles s’étirent et m’entraînent.
Certaine se détachent d’elles-mêmes.
Je chemine alors, mes racines sous le bras, aux parfums
d’amande et de cerise mêlés.
Depuis les vergers de Damas…
d’autres vaisseaux errent, poursuivant l’ouest.
Véronique Lamare
Pour des prunes, 2016
Vues de l’exposition Aulofée, un itinéraire, Médiathèque de Lège Cap Ferret, 2019
Commissariat : Élise Girardot
« Déraciné » implique de s’être senti enraciné, appartenir à une terre, un territoire bien délimité et d’en avoir été arraché. Une expérience qui peut être douloureuse et traumatisante selon le contexte. Mais déraciner c’est « arracher de terre avec les racines », c’est donc aussi cette capacité à pouvoir poursuivre la vie ailleurs, en faire naître de nouvelles (racines) non pas en remplacement des plus anciennes mais en supplément, voire de s’en inventer. Le mouvement, le déplacement, la capacité d’adaptation, le vivant. Cheminer avec ses racines et non pas la racine comme attache qui maintiendrait dans une sorte d’immobilisme, de retenue, d’être empêché.
Le prunus est originaire des vergers de Damas, entre autre, d’où il a été rapporté au 12e siècle en France au retour de la 2e croisade, et de là viendrait l’expression « pour des prunes ». Les racines présentées dans l’exposition ont été récupérées aux alentours de Biscarosse. Une fois nettoyées, elles ont commencé à se dessécher, à devenir presque cassantes, j’ai eu envie d’en prendre soin. Prendre soin de cette fragilité et force à la fois, par une action simple. Par la délicatesse des gestes, les démêler, les enduire d’huile de prune, huile nourrissante, protectrice, apaisante, à l’odeur enivrante d’amande. Par le cheminement de la pensée, ces racines ont pris pour moi une signification beaucoup plus symbolique, riche et complexe, en écho à l’actualité tragique des migrants syriens. Poursuivant l’errance depuis les vergers de Damas vers l’ouest…
Véronique Lamare
Pour des prunes, 2016
Série de dessins, mine de plomb sur papier, 29,5 x 41 cm
Crédits photographiques : Véronique Lamare
© Adagp, Paris
1Édouard Glissant, Philosophie de la relation, Gallimard, 2009