[...] Ça a été là indique un fait achevé et implique le modèle. Dans notre cas, au contraire, la pose du modèle avait duré et été renouvelée sans que le peintre eut l’intention d’en finir. La présence du modèle devant le peintre était constante bien qu’imparfaite. C’était une suite d’occurrences et de rencontres pleines d’aléa. Elle peut l’être encore. Chaque occurrence réalisée renvoie à deux types : l’idéalité du modèle dont le peintre scrutait l’épiphanie, l’idéalité de la peinture dont le peintre organisait la rencontre avec celle du modèle. [...]
Tous les portraits ont un même format. Le peintre a posé tous les modèles dans une attitude à peu près identique. Peut-être celle qui est venue spontanément au premier modèle ou parce que la lumière de l’atelier était ainsi plus favorable. Aucune affectation, aucun effet. Quelque chose comme l’indifférence des modèles de Manet au monde, pourtant impliqués. Cependant, très peu regardent le spectateur. De la pose émane une grande quiétude, une forme d’abandon sans crainte au temps qui passait, une sorte de sagesse passagère, une forme de sainteté laïque évoquant les figures peintes par Piero della Francesca. À mon souvenir, le fond serait uniforme et sombre mais en vérité, la couleur se répartit dans une sorte de neutralité avec de légères variations de la profondeur. [...]
Jacques Lafon, Les portraits d’Yves Chaudouët (extraits), 2013