Panama a vécu entre 2005 et 2008 un boom de l’investissement immobilier. Là-bas, mes recherches sur les chantiers de construction m’ont amenée à découvrir un de ses corps de métier : celui des « reforzadores », l’équivalent des férailleurs en France. Leur travail est fondamental pour la rigidité de l’édifice puisqu’ils réalisent l’armature d’acier du béton armé par des petits noeuds de métal. Un maillage invisible qui n’est pas sans rappeler la toile que Pénélope tissait indéfiniment ; de la même façon, d’un chantier à l’autre les reforzadores ne cessent de répéter leurs gestes. La pratique de ces noeuds a donné naissance à une nomenclature improvisée et transmise sur le chantier par les plus anciens. « La Chaise », « La Simple », « L’Orque », « Le Huit », « La Bouche », « L’américaine » révèlent un artisanat informel et méconnu.
Ce travail met en lumière la place de l’imagination dans le travail ouvrier, qualité qui est communément attribuée aux architectes, et il souligne la part de féminité contenue dans un domaine d’activité éminemment masculin. Les chantiers panaméens codifient de façon propre les notions de genre mais aussi de hiérarchie : alors qu’en France cette activité est reléguée aux intérimaires, la minutie de la tâche des réforzadores et sa valeur fonctionnelle est récompensée par une rémunération qui est la plus élevée des ouvriers de la construction.
Céline Domengie