
Traduction : Michel Cordillot
Illustration : Camille Lavaud
les Editions du sous-sol, Paris
Au cours de l’hiver 1965, la rédaction du magazine Esquire demande à Gay Talese de réaliser un papier sur Frank Sinatra. Mais l’immense star, qui approche de la cinquantaine, ne semble guère disposée à répondre à la moindre interview. Pour autant, le journaliste ne se décourage pas et, redoublant de créativité, s’entretient avec l’entourage du chanteur qu’il se contente d’observer à distance. Le résultat est probant : l’article devient l’un des plus célèbres jamais publiés. Le “New Journalism” est né.
Dans un coin sombre près du bar, un verre de bourbon dans une main et une cigarette dans l’autre, Frank Sinatra est debout entre deux blondes, jolies mais plus franchement jeunes. Assises, elles attendent qu’il veuille bien dire quelque chose. Mais lui reste silencieux. Il n’a pratiquement pas ouvert la bouche de toute la soirée, et à l’heure qu’il est, le regard perdu au-delà du comptoir dans la pénombre de la grande salle enfumée où des dizaines de jeunes couples se serrent autour de toutes petites tables quand ils ne dansent pas le twist au milieu de la piste au son assourdissant de la musique folk-rock déversée par la chaîne stéréo, il paraît encore plus impénétrable. Les deux blondes et les quatre hommes debout autour de lui dans ce club privé de Beverly Hills savent qu’il est préférable de ne pas forcer la conversation quand il reste ainsi muré dans un silence renfrogné. Et il faut bien dire qu’il en a souvent été ainsi au cours de cette première semaine de novembre, alors que dans un mois il aura cinquante ans.
"Sinatra Has a Cold", traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel Cordillot, paru pour la première fois dans Esquire en avril 1966.
© Gay Talese
Extrait, 2003

Illustration : Camille Lavaud
les Editions du sous-sol, Paris
Le mot “personnalité” et son pluriel me posent problème – ils me gênent – notamment dans des formules telles que “de nos jours, le tennis manque de personnalités” ou “le tennis a besoin d’une nouvelle star qui soit une vraie personnalité”. Cela dit, si, à l’avenir, on me permet d’utiliser ce terme entre guillemets et de l’employer comme exact synonyme d’une expression composée de trois syllabes, de neuf lettres, commençant par un t, se terminant par un l (et comprenant, dans cet ordre, les lettres intermédiaires suivantes : r, o, u, plus loin d, u, espace, c et encore un u), alors, dans ce cas, personnalité et moi allons bien nous entendre.
© Martin Amis
Extrait, 1994

Illustration : Camille Lavaud
les Editions du sous-sol, Paris
Avant Timothy Leary et les Beatles, le LSD était une drogue méconnue échappant à toute réglementation. Les années 1950 marquèrent un tournant. Cary Grant et Esther Williams, suivis par une partie du gotha hollywoodien, commencèrent à prendre du LSD dans le cadre de leur psychothérapie. La récente reprise des recherches scientifiques sur la molécule a incité les auteurs de l’article à raconter comment deux médecins de Beverly Hills firent la promotion d’une nouvelle drogue miracle, à cent dollars la séance, modifiant profondément la vie de leurs prestigieux patients.
Presque tout le monde fumait cigarette sur cigarette, et un “joint” signifiait une articulation, ou bien une pièce détachée d’une automobile. Si les gens étaient “en manque”, on devinait qu’ils étaient en manque d’inspiration pour écrire les dialogues d’un scénario ou les paroles d’une chanson. Et si le mot “acide” était prononcé, il était en fait question de jus de citron ou de remontées gastriques. Personne à Hollywood, ni même ailleurs aux États-Unis, n’avait entendu parler du LSD – l’acide lysergique diéthylamide. Il faudra attendre 1960 pour que Timothy Leary avale son premier champignon. Il était par conséquent très surprenant dans ce contexte de voir un groupe de plusieurs dizaines de célébrités hollywoodiennes commencer à ingérer des petites pilules azurées, ressemblant à des décorations pour gâteaux, comme un substitut à une psychothérapie.
Ce texte est paru pour la première fois dans Vanity Fair, en août 2010.
© Judy Balaban et Cari Beauchamp
Extrait, 2012
© Adagp, Paris