Julie Chaffort nous embarque dans une variation de motifs abordés dans ses précédents films. Légendes est une galerie de tableaux, une série de plans fixes où des figures immergées dans un paysage aquatique s’animent pour conter, chanter, jouer de la musique ou danser. Une façon de musée chantant, qui n’a rien à envier au music-hall, à ciel ouvert.
A l’entrée de sa galerie, Julie Chaffort a fabriqué un tableau d’Histoire, portrait équestre d’un chevalier en armure dont la monture est tenue par un écuyer, devant le paysage intemporel d’un lac bordé d’une falaise. Le diable gît dans le détail. Dans les films de Julie Chaffort, le diable, c’est l’humour. L’anachronisme d’une basket bleue crève la solennité du tableau. Le soin mis à la composition, à l’agencement des costumes, aux postures hiératiques, à la scansion par le chevalier, d’un texte de Pascal Quignard évoquant l’entrée dans l’hiver de l’humanité après le péché originel, voilà tout chahuté par ce détail saugrenu. La beauté du lieu, du texte et de l’image ne sont pas altérées par le rire : le comique, ici, dépouille la nature des enjeux de sublime et la rend à la légèreté de ses feuillages, aux gambades de ses ruisseaux, aux cacophonies de sa volière.
Mais, dans ces tableaux incongrus, au-delà de l’humour, il s’agit de nostalgie et de déférence, aux lieux et à ses habitants : une réponse à leurs invitations. Les rivières sont des scènes faites pour la dérive d’une cantate, les lacs pour des envolées discursives. Les plateformes des ferrys sont faites pour accueillir des fanfares qui mêlent leur joyeux boucan bigarré et désuet à celui des moteurs. Cette nature, émancipée du sérieux, accueille avec bonheur la générosité et la noblesse du geste amateur.
Claire Lasolle
pour le FID Marseille 2020
Claire Lasolle, « Légendes, entretien avec Julie Chaffort », 2020
images extraites du film
© Adagp, Paris