Jane Harris

entretien avec Élodie Goux
Suite à la présentation publique de "Pas de Trois" au FRAC Aquitaine
juin 2017
Pas de Trois, 2016


Entretien avec Jane Harris à propos de Pas de Trois (2016), une commande des Frac AquitaineFrac-Artothèque du Limousin et Frac Poitou-Charentes.

Présentation publique de l'œuvre les 5 et 6 novembre 2016 à l'occasion du premier week-end des Frac au Frac Aquitaine (Bordeaux), au Frac-Arthothèque du Limousin (Limoges) et au Frac Poitou-Charentes (Angoulême).

"Les 23 Frac de France ouvraient leurs portes les 5 et 6 novembre 2016 à l’occasion du week-end des Frac. Cette manifestation fut l’occasion en Nouvelle-Aquitaine de valoriser les coopérations engagées entre les trois structures. Parmi elles, la création de l’artiste Jane Harris, invitée à réaliser « une œuvre inspirée de la naissance de la région et ayant le statut d’emblème ou de blason ». Celle-ci constitue une synthèse harmonieuse entre le travail personnel de l’artiste, d’origine britannique et installée en Dordogne, et une réflexion globale sur l’identité en devenir de cette grande région." Source : www.nouvelle-aquitaine.fr

 Vues de Pas de Trois,
installée à l'intérieur du Frac Aquitaine à Bordeaux
© Frac Aquitaine
 Vues de Pas de Trois,
installée sur la façade du Frac-Artothèque du Limousin à Limoges
© Frac-Artothèque Limousin

Elodie Goux : Comment cette collaboration avec les trois Frac a-t-elle été initiée ?

Jane Harris : En mars 2016, Claire Jacquet, directrice du Frac Aquitaine et Luc Trias, responsable du service des Industries créatives au Conseil régional d'Aquitaine m'ont proposé en ma qualité d'artiste professionnelle vivant en Aquitaine, de faire partie du comité consultatif destiné à déterminer le nom de la nouvelle région. J'ai été surprise mais très honorée d'être invitée.
Ma participation à ce comité, la présence de cinq de mes peintures dans les collections des Frac Aquitaine et Limousin, l'implantation de mon atelier en Dordogne, département qui occupe géographiquement une place centrale en Nouvelle-Aquitaine, ainsi qu'une diffusion à l'international* de mon travail, sont quatre raisons qui ont probablement poussé les directeurs des 3 Frac à s'adresser à moi.
Bien sûr, j'espère que c'était aussi parce qu'ils pensaient que mon travail se traduirait bien sous la forme d'un drapeau!


E. G. : Qu’est-ce que cette commande a signifié pour toi, en tant qu'artiste travaillant en Nouvelle-Aquitaine ?

J. H. : Il me semblait important de célébrer cette fusion des trois régions à l'échelle de l'art contemporain et de sa diffusion opérée par ces trois entités régionales. Je voulais souligner leur singularité respective tout en montrant les liens qui existaient entre elles. Le choix du titre a été déterminant, à la fois littéral et ludique, il sacralise bien cette mission de diffusion de l'art contemporain commune aux commanditaires.


E. G. : Tu as répondu à cette commande par la technique de l’aquarelle que tu as beaucoup développée depuis 2011. Peux-tu expliquer ce choix ?

J. H. : En effet, après une première résidence au sein de la Fondation Josef et Anni Albers aux États-Unis, j'ai plus régulièrement développé mon travail en aquarelle. Alors que j'avais décidé de ne travailler que sur papier, j’ai trouvé intéressante la possibilité de combiner des zones de crayon avec des zones d'aquarelle dans la même œuvre. Cela m'a permis de donner une nouvelle direction à mon travail sur papier, certes inattendue, et révélant des relations spatiales plus complexes et ambigües au sein de chaque production.
Sans être un logo, Pas de Trois, symbolise le rapprochement des trois Frac. Cette aquarelle sérigraphiée sur un objet qui est en fait un drapeau, se prête assez bien à cette reproduction. Par ailleurs, il s'agissait aussi de mettre en perspective des recherches qui me préoccupaient depuis quelques temps déjà et un moment précis du développement de ma pratique.


E. G. : En regard de tes recherches, il nous faut évoquer ici la récurrence de la figure de l'ellipse qui, dans ton travail, qu'il s'agisse de ta production de dessins, de peintures ou d'aquarelles, est sans cesse renouvelée. Peux-tu revenir sur cet aspect de ton travail et de sa transcription à l'échelle de cette commande ?

J. H. : J’utilise la figure de l’ellipse dans mon travail depuis presque 30 ans. C’est une figure géométrique qui n'a pas un centre unique mais deux points focaux. Elle contient donc un potentiel de permutation infini. Aussi, elle peut être simultanément comprise comme une forme plate sur la surface du tableau ou bien comme un cercle en perspective, créant l’illusion de profondeur dans la peinture ou le dessin. C’est une figure que je trouve très élégante, à la fois reposante et dynamique. Son utilisation pour cette commande m'a permis de jouer avec les ambiguïtés de ces deux états, entre la surface et la profondeur.


E. G. : Comment as-tu élaboré ce projet, très graphique ?


J. H. : Je me suis d'abord donnée carte blanche afin d'explorer des possibilités très différentes. Pour cela, j’ai produit des petites séries qui étaient fondées sur l'existence des trois régions et de leur réunion, induite par des liaisons et des chevauchements qui leur permettaient de conserver aussi leur identité propre. Bien que l'étude soit destinée à devenir un motif pour un drapeau, il était important pour moi qu'elle conserve la complexité structurelle et l'ambiguïté spatiale communes à toutes mes œuvres. Il s'agissait pour moi d'un véritable défi.


E. G. : De quelle manière as-tu procédé pour déterminer les couleurs de cet emblème ?

J. H. : Comme pour mes dernières productions sur papier, j’ai décidé de combiner graphite et aquarelle et d'utiliser le blanc du papier afin d'avoir à disposition une gamme complète de tons et de couleurs.
Consécutivement à mes recherches, j'ai peu à peu affiné mes choix ; par l'intermédiaire de mélanges je suis parvenue à déterminer trois couleurs que je considérais être en résonance de l'identité de chacune des régions. Le rouge est associé à l'Aquitaine et à sa production viticole, l'orange cuivré au Poitou-Charentes dont il rappelle la teinte du Cognac et le vert au Limousin pour ses grandes étendues de forêt et de champs. L'ajout du bleu outre-mer correspond au liant, l'eau qui est importante pour les trois régions, qu'il s'agisse pour la côte de l'Océan ou du réseau fluvial qui les traverse.


E. G. : Tu avais en 2013 travaillé à la réalisation d'une tapisserie à la Cité internationale de la Tapisserie d'Aubusson en ex-Limousin, et là aussi tu avais dû confronter tes recherches plastiques à un médium très différent de ceux que tu utilises habituellement. Quel apport ces expériences ont-elles à l'échelle de ton œuvre ?

J. H. : Pour la réalisation de la tapisserie à Aubusson, j'ai également mené de nombreuses études avant d'arriver à la production du carton. Sa production, qui requiert un grand savoir-faire, a été confiée à un lissier professionnel avec qui j'avais au préalable déterminé le choix des fils, leur épaisseur, la combinaison des couleurs et la géométrie du dessin.
Cette expérience a été très utile quant au processus de réalisation du drapeau. Passer par les études et la maquette, discuter avec des professionnels qui répondent à des contraintes qui ne sont pas les miennes et ce, pour arriver à un résultat qui corresponde aussi à mes attentes plastiques… il s'agit là de sortir du confort de sa pratique et de son atelier, et d'accepter de ne pas tout maîtriser.

11 études, 2015-2016
aquarelles sur papier / 105 x 88 cm
11 études, 2015-2016
aquarelles sur papier / 105 x 88 cm
11 études, 2015-2016
aquarelles sur papier / 105 x 88 cm