Il fait déjà sombre, quand j’arrive à Caylus. Le brouillard épais qui monte du lac se dissipe lentement dans les rues froides du village, se heurtant aux pierres et aux fissures du temps. La route sinueuse qui descend dans la vallée est prise dans un flux continu de camions et de voitures, éclairée par les lumières des maisons qui scintillent derrière les fenêtres embuées. Les moteurs résonnent au loin. Des chats errent en silence dans les venelles obscures. Les arbres nus grelottent sur les pans du cirque, laissant passer le vent qui s’engouffre vers le cœur du hameau. Au détour d’une ruelle étroite, une halle et son parking désert. Je pousse la porte du Lagardère, le bar qui fait l’angle. Une bouffée de chaleur suave, une odeur de bière tiède, des rires emportés. Des hommes et des femmes accoudés au comptoir tournent tous la tête, l’air hagard. Des habitués m’accueillent à leurs côtés. Ils ont tous accroché à leur veste, des écussons brodés appartenant à une même communauté, le Caylus Culture Club.
Des étoiles, bleues.
Des motifs au trait noir sur fond blanc.
Un château dont sortent des flammes, rouges.
L’histoire débute par la réunion informelle d’une confrérie sur fond de campagne, et est interrompue par l’arrivée d’une inconnue. Il s’avère par la suite que celle-ci permet au récit de continuer.
Un des types attablé au comptoir se met soudain à chantonner dans sa barbe. Un de ses compagnons de gauche semble s’être agité un peu. Il gigote sur sa chaise, animé de l’intérieur par la mélodie, il continue le refrain. Bientôt un chorus de voix fortes envahi les lieux. Pas vraiment contrôlée, entre deux gorgées, l’hymne reprend. Quelques militaires continuent leur partie de billard en ajoutant la voix grave au milieu des boules perdues.
Cette véritable ivresse sonore me laisse dans un état de contemplation. Je parcours minutieusement le décor de la scène. Des banderoles scandent les slogans du club. Sur les murs sont accrochés d’étranges panneaux en bois peints qui semblent décrire une épopée en plusieurs actes. Un sanglier sanglotant dans un berceau porte la robe d’une petite fille. Des chasseurs armés brandissent un javelot au bout duquel trône, ensanglantée, la tête de l’animal. Deux autres sangliers se poursuivent dans les bois. Une jeune femme aux cheveux longs tient sur sa robe empourprée le trophée de la bête noire. Son visage si triste et amoureux détient en lui le mystère du drame.
Comme de vieux contes noirs racontés au coin du feu. Quand au fur et à mesure que la description du paysage s’échafaude, l’on se met à apercevoir des malformations dans la nature alentour.
Qu’est-ce qui fait que tout d’un coup la réalité se déforme, que le sens des choses prend un autre chemin que celui qu’on aurait espéré…
Un des hommes me tape sur l’épaule, « who are you » me dit-il, avec son accent anglais. Le chant s’est arrêté là et les verres se remplissent à nouveau. "
Laurie Charles
Texte narratif accompagnant le projet, remis aux visiteurs