
[...] Au cœur de l’exposition, un long polyptyque fonctionne comme un panorama immersif d’un geste continu, la peinture fragmentée nous donne la sensation d’être dans la forêt, tout contre les plantes. L’artiste joue avec le hasard d’une réunion de six peintures créées indépendamment les unes des autres, pour produire finalement cette jungle tropicale, et dépasser le format classique du tableau. Elle tend la toile sur le châssis, soupèse la forme et visualise, avant de peindre, l’espace qui entoure ce cadre rigide. Depuis qu’elle s’est emplie de la lumière de l’hémisphère nord, elle s’éloigne de ce qui la nourrit depuis toujours et s’intéresse aux végétations européennes, plus timides et silencieuses. Elle développe alors un intérêt pour l’empiècement, le patchwork, l’expérience textile abordée par le prisme de la picturalité. La couture lui permet de fixer la composition en canalisant le geste. Son regard tropical est influencé par un matériau qu’elle voit comme typiquement occidental, composé de morceaux récoltés et chutes de tissus épais aux couleurs sombres. La vitalité de l’artiste se fonde sur un aller-retour permanent, une traversée mentale de l’océan Atlantique, et se décline jusqu’à la découverte d’autres matières, pour observer les réactions de la fibre au flux incessant des tiges, pétales et bourgeons. Face aux œuvres textiles, trois toiles plus petites représentent les fleurs européennes, qui semblent plus décoratives. On passe à travers cette métamorphose. Enfin, on contemple une ardeur désespérée, mouvementée comme la vie, cahotée par les sentiments contradictoires. Duda Moraes répond à ce que la peinture lui demande, avec des gestes rapides, une profusion incessante, une pratique très intense de l’atelier. Elle revient toujours vers la peinture, désosse le motif floral, pour créer de nouveaux espaces qui nous englobent. L’exposition réunit un ensemble de formes interconnectées, les tiges naviguent dorénavant d’une échelle à l’autre, d’une surface accrochée à une suspension, d’une image fantasmée à une réalité.
Elise Girardot, Les fleurs ont toujours raison, 2024 (extrait)







Crédits photographiques : Rodrigo Lopes /Courtesy Galerie d’Art Anita Schwartz, Rio de Janeiro (Brésil)