Que le commerce déplace les foules, ce n’est pas nouveau. Par nécessité ou par divertissement, il y a longtemps qu’on parcourt des (dizaines, centaines, milliers de) kilomètres pour faire ses achats. Les commerçants, quant à eux, attisent le besoin réel ou imaginaire que le quidam a de posséder telle ou telle chose, avant de le satisfaire. Les analystes du marketing contemporain ont-ils également dit qu’il fallait, pour développer son potentiel de vente, maintenir les gens dans cette agitation et cette envie ?
Faire acheter n’est pas un objectif suffisant. Ce qui prime, c’est de toujours et partout rappeler aux consommateurs qu’ils peuvent en être. Les photographies de la série intitulée Campagne urbaine mettent en image ce principe et jouent la carte de l’omniprésence. Même dans des endroits abandonnés ou en voie de l’être, on trouve des espaces publicitaires et des mètres carrés commerciaux. À l’instar des réclames qu’on peignait autrefois sur les murs des villes et des villages – parfois conservées avec nostalgie alors que l’enseigne a disparu des rayonnages -, les marques font aujourd’hui partie du décor. Elles sont des éléments de notre culture. Elles appartiennent au patrimoine, c’est-à-dire à ce qui reste en dernier lieu. Dans les lieux perdus que montre Campagne urbaine, il n’est donc pas absurde de découvrir la devanture des Galeries Lafayette, d’un magasin de luxe, voire d’un sex-shop. La possibilité de consommer est inscrite à même le paysage.
Ce qui pose question en revanche, c’est que l’on n’y voit aucun client, ou alors seulement sous la forme de deux présences fantomatiques prisonnières d’une vitrine (Cartier – Galinat, 24). Les êtres humains sont les grands absents de cette campagne."
Sébastien Gazeau