Bar

Édifice pyramidal élevé avec ordre au rang de temple solaire, sa porte de saloon ouvre sur l’imaginaire des conquêtes de civilisation. Il ressuscite l’horizon infini des espaces de l’Ouest. Les terres vierges peuplées de tribus autochtones sont sauvagement évangélisées par les missionnaires sous le sceau de la destinée manifeste.

Cette conquête irréversible conduite par la doctrine messianique, convertit la terre en territoire, dans leur progression, les pionniers fondent des communautés, édifient des paroisses de bois, ouvrages préalables à la constitution de la colonie. Le temple cristallise l’acte premier de l’ère nouvelle. Ce passage quasi initiatique du monde sauvage à l’état de droit donne lieu a une période transitoire où la société se constitue sans règle. La loi n’est pas encore établie, le corps social est livré à sa nature sanguinaire.

C’est ce temps furtif qu’exacerbe avec précision l’œuvre de Nicolas Milhé. Elle utilise le vocabulaire formel de cette architecture missionnaire, joue avec les sens et les usages sans hiérarchie, caractérise un temps fondateur pendant lequel les signes ne sont pas ordonnés et dont la république résulte. Le clocher, le triangle maçonnique, la pyramide, le bar, tracent une ligne débridée d’interprétations, qualifiant ce temple d’apparence austère et mystique dans sa dimension décadente.

Deux siècles se sont écoulés, le bois a laissé place au béton coulé, les trappeurs ont troqué les peaux pour la cravate, les terres à conquérir sont à l’orée des villes. Dans ce territoire indéfini, future aire de l’expansion urbaine, « BAR » matérialise le statut éphémère d’un espace livré à l’usage de la communauté. A Gand, le quartier De Muide est une langue de terre brûlée par l’âge de la révolution industrielle, appontement devenu mineur à l’heure de l’économie des services. Le basculement du modèle de société appliqué à ce morceau de ville l’installe dans une géographie de la sécession, la vacance des lieux offre alors toutes les qualités de la terre d’asile, accueillante et sans distinction. Cet espace idéal, encore indéterminé, mêle l’histoire, les cultures, l’avenir, et l’espace social de « BAR ».

Frédéric Latherrade

 

  • Bar, 2012
    Charpente en mélèze et cloche en bronze, 11 x 11 x 9,8 m
    Installation dans l’espace public, quartier de Muide, Hangar 2, Gand (B)
  • Détail

 

© Adagp, Paris