La pratique d’Ibai Hernandorena sonde les utopies manquées de la modernité, avec ses architectures de béton, tantôt perçues comme des abris ou des cocons, tantôt comme des espaces d’une domestication qui ne dit pas son nom, à l’instar du Modulor de Le Corbusier. Au fil des années, sa réflexion se déplace des notions d’habitation aux structures de protection des corps, carénages, carapaces et autres chrysalides. Au sein de cet apparent mutisme, c’est au contraire la relance des récits et d’un vivre-ensemble qui s’esquisse. Parmi ses pièces, souvent réactualisables et modulables, s’invite alors la figure d’un yéti, sobrement intitulé L’Autre. Monstre d’une altérité radicale, la créature légendaire des grands froids devient un embrayeur d’imaginaires qui épouvante ou veille sur les enfants. Juchées sur des socles recouverts d’une marqueterie nous plongeant dans l’ambiance surannée d’une cuisine, deux yétis semblables à deux totems trônent dans l’espace. Réalisés à la mesure du père et de sa fille Simone, née lors du premier confinement, ces deux entités deviennent les gardiennes d’une filiation généalogique qui se joue du domestique et des rapports de domestication.
Marion Zilio
Crédits photographiques : Ibai Hernandorena