Angélique Aubrit et Ludovic Beillard

Souhaiter que les personnes les plus proches de vous, voire celles que vous aimez le plus, meurent, ça peut arriver. En tout cas, ça m’est arrivé. Je le recommande même, ça fait du bien : penser à une mort qui soulage, une mort qui vous libère d’un jugement, d’un étouffement ou d’un amour inconditionnel. Ou simplement vouloir interrompre la lourdeur de celui-celle qui parle trop, de celui-celle qui ne perçoit plus les limites, qui empiète et s’étale jusqu’à nier l’autre. Parfois, cela devient physique, lorsque le corps ne peut plus supporter la présence de l’autre. Je veux que tu meures exprime, selon moi, le souhait d’une disparition instantanée, plus que d’une mort réelle ; elle s’apparenterait à un effacement, celui d’un corps flottant dans l’espace s’éloignant progressivement dans le noir de l’univers, jusqu’au néant. Sans savoir où va le corps, sans savoir s’il meurt vraiment, quoi qu’il en soit, il disparaît une fois pour toutes de la vue et de tout lien possible.
Autrement dit, que faisons-nous concrètement lorsque l’autre nous étouffe ou simplement lorsque nous ne supportons pas celui-celle qui est en face de nous ? Allons-nous voir une pièce du théâtre antique, Andromaque, Antigone, afin de vivre une catharsis ? Personnellement, je choisirais Penthésilée (1808), le mythe grec réécrit par Heinrich von Kleist. Il raconte l’histoire de la reine des Amazones qui, pendant la guerre de Troie, tue « involontairement » Achille sur le champ de bataille, dont elle tombe simultanément amoureuse.
Angélique Aubrit et Ludovic Beillard ont, quant à eux, écrit un scénario qui met en scène la rencontre de cinq personnages dans un huis clos étroit où règne une tension loufoque et inquiétante. Le film qui en résulte, comme le dispositif de l’exposition, les situe dans un environnement qui emprunte les caractéristiques architecturales d’un vaisseau spatial. Ici sur terre, l’espace de la galerie, lui-même de petite dimension, a été réduit, il rappelle l’ambiance confinée et claustrophobe de ces véhicules interstellaires. Les costumes-sculptures d’Élena, Mauris, Heather, Niklas et Pete sont présentés les uns à côté des autres, adossés au mur comme des habits de cosmonautes rangés dans un sas de décompression. De son côté, le film laisse apparaître les personnages dans une cabine circulaire à 6 portes, dont les murs suintent l’humidité. Les personnages s’y croisent, s’y parlent, s’entrechoquent, attendent ou encore circulent. La situation entre eux semble instable, tantôt pesante et menaçante – vont-ils s’entretuer ? – tantôt ‘relaxe’ entre deux taffes de cigarette.
L’hétérogénéité de leurs habits suggère qu’ils viennent d’époques et de milieux différents. Peut-être qu’Élena, Niklas, Heather, Mauris et Pete ne se connaissent pas, qu’ils se sont retrouvés là comme dans le Huis clos (1947) de Sartre, où trois inconnus se rencontrent en enfer ; un enfer où il n’y a ni bourreau ni instruments de torture physique mais seulement les autres et leur jugement implacable. Ou peut-être assiste-t-on à une scène comme dans l’Alien de Ridley Scott (1979) où les membres de l’équipage sous haute tension, se réunissent autour de Ripley afin de faire le point sur la menace qui règne à bord du vaisseau.
Le physique singulier de ces personnages, constitués d’avant-bras et de têtes en bois surdimensionnées qui contraignent leurs mouvements, les localisent à la croisée de ces deux histoires. Alors que les visages apparaissant sur les casques en bois ont des traits distincts, leurs yeux passent inaperçus, comme s’ils étaient fermés. Sans présences oculaires, ces visages s’apparentent à des masques mortuaires. La fragilité du corps humain qu’exposent les armures de bois, l’isolement des personnages, le style du film et des costumes, chaque élément, qu’il soit esthétique ou narratif, contribue à produire un état intermédiaire, un sas tragi-comique. ‘
Oriane Durand