National Story Kit

L’inventaire des creux, 2018
Dessin mine bleues inactiniques sur papier Vélin d’Arches,
57 x 76,5 cm
Exposition RASSEMBLER, LAC&S Limoges/Collectif Acte, 2020

National Story Kit est un work in progress qui a vu le jour en réaction aux événements de janvier 2015 et à la série d’émission de La Fabrique de l’Histoire sur France Culture intitulé : « Comment en sommes-nous arrivés là ? »

Je me suis emparé d’un manuel d’histoire-géographie et éducation civique des années 1980 qui tente non sans audace de présenter toute l’histoire de France, de son territoire, de son peuplement et de ses règles de vie civique en un seul volume didactique illustré. Je découpe dans les images des silhouettes qui se séparent de leur emplacement pour les disposer aléatoirement sur le livre ouvert, remplaçant les classements traditionnels par des associations intuitives pour créer un paysage historique indiscipliné ne privilégiant aucun point de vue particulier.

Chaque déballage du kit permet de nouvelles installations imprévisibles de son contenu, en fonction de la configuration du site et des interprétations subjectives de ma part, des curateurs et du public. National Story Kit illustre le déballage formel, conceptuel et textuel caractéristique d’un artiste dyslexique par lequel des passages de l’histoire, de la géographie, de l’économie, de l’éducation civique, de la pop culture, du cinéma expérimental et de la littérature underground sont transposés sous forme d’installations soigneusement construites pour déconstruire la sacro-sainte fabrication du « roman national » ou autre recherche impossible de l’identité nationale.

Je poursuis aujourd’hui une telle démarche à partir de plusieurs manuels édités sur plusieurs périodes.

Cette espèce de jeu de société offre la possibilité de questionner ces formes de récit imposé et de se réapproprier une partie de cette histoire collective. Je voudrais infuser l’idée d’une réalité historique fragmentaire et complexe, désigner la construction des mythes et des grands récits, accepter de ne pas tout comprendre et sortir du régime de peur dans lequel nous nous sommes installés.

Benoit Pierre

 

Programme 73, 2017
Extrait de la série du manuel scolaire de géographie découpé, dessin mines bleues inactiniques sur papier Canson, 32 x 42 cm
Exposition Geostory, TLW, UFR des arts, Amiens, 2017

 

Programme 73, 2017 et Programme 81, 2015
Installations, dimensions variables
Exposition Strates [vue avec l’artiste au travail], Craft espace, Dieulefit, 2016
L’Atelier des possibles, projet organisé par le Centre d’art / La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars, 2019

 

L’Atelier des possibles

« J’avais disposé des documents photographiques issus du manuel de 1972, posés sur table dans la boutique. Ma façon de procéder, c’est de m’attaquer aux images. Dans les manuels d’histoire-géo, l’image a eu de plus en plus d’importance.
Il n’est plus imaginable aujourd’hui, pour un enseignant, de ne pas démarrer un cours sans s’appuyer sur les images. Le récit historique est en net recul face à la prépondérance du visuel. Se sédimente en nous une construction à partir des images, qu’on n’interroge presque pas. Dans la période allant du XIXe siècle à aujourd’hui, ces images sont photographiques, héritage du point de vue unique, monoculaire, fixe sur le monde : en fragmentant ces documents, je m’attaque à leur primauté dans l’éducation. » [...]
« Il faut du temps pour s’approprier des éléments de connaissance. La boutique où je me suis installé a pignon sur rue : c’était essentiel de diminuer les filtres qui persistent entre l’artiste et le public, et d’être là tous les jours, comme les autres commerçants du quartier. Le voisinage est venu dans cet espace d’exposition et d’atelier, au statut poreux et incertain. Nos recherches se sont croisées. J’ai besoin d’immersion pour comprendre ce qui se passe, j’ai besoin de vivre un territoire, de l’incorporer, je ne peux pas travailler hors-sol. ».

Benoit Pierre

Propos recueillis par Éva Prouteau, extrait de l’édition L’Atelier des possibles, Centre d’art / La chapelle Jeanne d’Arc à Thouars.

 

Programme 81, 2015
Installation, manuels découpés, 8 rétroprojecteurs, dimensions variables
Résidence Iconoclasses XIX, Salle de classe Lycée Jean XXIII, Yvetot, 2017
L’Atelier des possibles, projet organisé par le Centre d’art / La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars, 2019

 

Programme 2010, 2021
Installation, Manuels découpés, 10 rétroprojecteurs, un écran portatif, dimensions variables.
Résidence collectif Acte RASSEMBLER/MORCELER Duo II, Galerie LP2i, Jaunay Marigny (Grand Poitiers), mai 2021.

 

La Caverne

Curieuse réactualisation de l’allégorie de la caverne. Quelles connaissances, quel savoir constitué, ces ombres portées questionnent-elles ? Nous sommes proches aussi peut-être des sensations qu’offre la lanterne magique qui, comme nous le dit Proust, “promenaient autour de moi des reflets d’histoire si anciens”. La Boîte de Pandore n’est pas si loin, elle non plus, mais quels seraient alors les maux qu’elle répand sur les murs ? Glisser ? Les pages de mes manuels histoire-géo ont dû beaucoup glisser pour rejoindre la caverne et les ombres des peintures rupestres qui en tapissent les murs. Trouer ? Il faut faire des trous dans le livre de nos héritages pour les voir à distance, ensemble et multiples. Introduire la notion de rencontre. Provoquer même des rencontres fortuites, des rencontres aléatoires. Napoléon III regarde les Inouïts, entre eux un Gaulois semble avoir colonisé le Mexique, mais la carte est inversée.

Ces silhouettes projetées sur toutes les parois de la salle de classe sont issues de photographies hétéroclites, dont la provenance est parfois difficile à identifier malgré les légendes : alors chacun choisit de s’emparer de l’une ou de l’autre, et les mêle à son cheminement de pensée. L’éclatement spatial désacralise les rapports aux images, à la représentation historique, à la chronologie d’un récit ; nous sommes immergé dans un espace commun d’héritages multiples. Le corps même du visiteur devient surface de projection mais aussi ombre portée qui s’inter- pose, escamote d’autres silhouettes mais fait surgir par sa présence une nouvelle organisation imaginaire du temps dont il devient partie prenante. De nouveaux rapports s’organisent. Loin de n’être qu’un regardeur, le visiteur devient explorateur, bricoleur au sens d’expérimentateur. Le dispositif permet des associations qui se renouvellent à chaque fois qu’il est activé. D’abord parce qu’il y a manifestement des moments d’histoire très disjoints. Ici, l’Afrique coloniale rencontre la machine à vapeur, là, la silhouette de l’Empereur qui sacre Joséphine, là une forme abstraite, et ces tissages inopinés font œuvre dans le regard de celui qui construit.

Ces ombres sont habitées simultanément par tous ces registres, entendus simultanément comme les variations d’un orgue, comme les échos, les chuchotements de ces fantômes de l’histoire du monde. Il y a là une épaisseur de registres. Une mémoire collective ? Il y a les changements d’échelle, les anamorphoses et des oxymores perceptifs. Le mélange des régimes de perception y génère parfois des antagonismes, peut-être des conflits. J’y vois même des carambolages !

C’est un drôle de puzzle. Les pièces détachées des manuels sont posées au mur comme une constellation ou un motif de papier peint. Certaines figures (les femmes) y sont clairement identifiables, d’autres sont parasitées par l’effet de leur retournement qui les propulsent dans d’autres espace-temps. Les encoches dans les pages des manuels, elles, sont posées sur les vitres des rétroprojecteurs et donnent lieu aux jeux d’ombres des silhouettes historiques et géographiques. Il y a là comme un projet encyclopédique contemporain où tout s’exposerait simultanément ; télescopage, déconstruction de l’ordre chronologique, pulvérisation de “la méthode”. Mais simultanément, la reconnaissance de certaines silhouettes, les voisinages et superpositions des ombres et des images, agissent, provoquent des associations de la mémoire, invitent à percevoir la complexité grandissante de l’histoire humaine.

Peut-être qu’ici nous contemplons notre histoire qui devient une préhistoire maintenant. Une préhistoire d’autre chose, que nous vivons et dont nous savons rien. Des images qui renvoient aux origines des images. Dans cette immersion, nous sommes pris comme partie prenante d’une histoire du monde et chaque déplacement du regard nous emmène vers une communauté plus large de perception. Comment se tient-on héritier de toutes ces images-fantômes de l’histoire ? Comment construisent-elles une société alors qu’elles semblent assemblées par un principe de désordre ? Un jeu avec le chaos nous délivre-t-il ? Nous permet-il de nous sentir plus libres ?

Quoiqu’il en soit, une image parle toujours à une autre image et une conversation y est engagée. J’y vois, j’y entends plutôt même la conversation des images-silhouettes qui se chuchotent des choses à l’oreille les unes des autres. Un grand murmure où l’on doit s’approcher des uns puis des autres pour en saisir le propos. Je me sens libre de naviguer d’une communauté à une autre, toutes forment le monde que je me fabrique en moi.

Benoit Pierre

Texte paru à l’occasion de Iconoclasses 19, Galerie Duchamp, 2017.

 

Les trophées , 2020
Installation d’affiches scolaires découpées, clou, dimensions variables.
Édition École Rossignol Histoire, recto verso des années 1960/
Exposition EPOPEA, Centre d’art / La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars, 2020

 

Les Pancartes, 2020
Affiches pédagogiques découpées, clou, dimensions variables.
Exposition Air glacière, Galerie Duchamp, Yvetot, 2017

 

La mémoire n’est pas un simple travail d’acquisition intellectuelle de données, d’informations que nous emmagasinerions en attendant de pouvoir en faire usage. Notre présence au monde, le moindre de nos choix, la moindre de nos pensées est pétrie du souvenir de ce que nous avons vécu. Aussi la construction d’une mémoire commune, telle qu’elle s’inscrit notamment dans le livre d’histoire, n’a rien d’anecdotique. Son iconographie, ses grands titres, les idéaux qu’elle véhicule sous couvert d’objectivité, décident en profondeur de l’avenir d’une société.

Les Pancartes sont une pièce issue du projet National Story Kit entrepris par Benoit Pierre depuis 2015 où, partant de vieux manuels scolaires d’histoire-géographie, muni d’une loupe et d’un scalpel, il se propose d’effectuer un travail d’archéologue qui ne fouillerait pas les décombres de quelques civilisations anciennes mais notre propre mémoire nationale. Le manuel scolaire n’est pas un livre comme les autres. Son iconographie, sa typographie, sa mise en page évoquent bien plus le pseudo magazine d’actualités que le livre d’un historien. On comprend bien qu’il ne saurait être question d’ennuyer l’élève avec de longs textes qui le contraindraient a ? la réflexion. Les images, les gros titres sont là pour attirer son attention sur l’essentiel, pour marquer sa mémoire. Même s’il n’est pas dénué de bonnes intentions, le procédé reste un procédé de manipulation qui finit toujours plus par masquer la réalité qu’à nous aider à la penser. L’image mémorielle se transforme alors peu à peu en image écran et finit, par son opacité même, en simple trou de mémoire. Fort de son expérience de graphiste, Benoit Pierre déconstruit l’iconographie du livre d’histoire pour mettre en lumière la façon dont, derrière son apparente évidence, elle vise à effacer toute l’ambivalence de notre relation a ? la réalité. Ainsi, pour l’exposition Air glacière, l’artiste nous parle de mondialisation, une autre façon de nommer la colonisation en quelque sorte. Pour cela, il choisit un manuel de géographie de 1972. Nous sommes au bord de la première crise énergétique, mais la croissance économique reste un impératif qu’il n’y a pas lieu ici de discuter. Néanmoins, au même moment, quatre jeunes scientifiques du MIT rédigeaient à la demande du Club de Rome un rapport intitulé « The Limits to Growth », établissant clairement les dangers d’une croissance économique exponentielle eu égard aux limites naturels de notre planète.

Thierry Catan  

pp.195-235, 2017
Tirage numérigraphique numéroté signé, 50 x 70 cm.
Collection privée.

   

Archéophotographie

En paralléle de cette approche s’est développé un travail photographique proche de celui des archéologues qui immortalisent dans un cliché certaines étapes de leurs fouilles. Je saisis un moment du processus de découpe du livre, alors qu’apparaissent dans les trouées des juxtapositions surprenantes et stupéfiantes, rencontres imprévues et anachronismes percutants, puis je poursuis l’extraction. C’est devenu un processus a ? part entiére, articulant silhouettes et ombres. Je reviens vers l’image que j’étais en train d’évacuer, mais je creuse à un autre endroit, où l’image n’est plus plate mais véhicule une profondeur et de l’espacement. Je mixe là de la photographie, du dessin, de la cartographie, de la typographie et du graphisme et suis surpris moi-méme par ce qui en ressort.

Benoit Pierre, mars 2016

pp.77-83 h, 2016
Tirage numérigraphique numéroté signé, 105 x 70 cm
Acquisition Artothèque de Poitiers, 2016
pp.15-31, 2017
Tirage numérigraphique numéroté signé, 105 x 70 cm
Collection privée
pp.37-47 a, 2017
Tirage numérigraphique numéroté signé, 30 x 50 cm
Collection privée
pp.227-255, 2017
Tirage numérigraphique numéroté signé, 105 x 70 cm
Exposition Geostory, TLW, UFR des arts, Amiens, 2017
pp.42-48 b, 2016
Tirage numérigraphique numéroté signé, 60 x 35 cm
pp.253-259, 2017
Tirage numérigraphique numéroté signé, 105 x 70 cm
Exposition Geostory, TLW, UFR des arts, Amiens, 2017

 

  • pp.42-48 h, 2016
    Tirage numérigraphique numéroté signé, 49 x 74 cm
  • pp.41-49, 2016
    Tirage numérigraphique numéroté signé, 49 x 74 cm
    Acquisition Artothèque de la Réunion, 2016

 

  • pp.45-51, 2016
    Tirage numérigraphique numéroté signé, 30 x 45 cm.
    Exposition Dix ans après, Artothèque de la Réunion, 2016.
  • pp.45-51, 2016
    Tirage numérigraphique numéroté signé, 12 x 18 cm.
    Acquisition Artothèque de la Réunion, 2016.
  • pp.49-53, 2016
    Tirage numérigraphique numéroté signé, 32 x 48 cm.
    Acquisition Artothèque de la Réunion, 2016.
  • pp.50-56, 2016
    Tirage numérigraphique numéroté signé, 37 x 57 cm.
    Acquisition Artothèque de la Réunion, 2016.
  • pp.153-155, 2017
    Tirage numérigraphique numéroté signé, 10 x 15 cm.
    Exposition Geostory, TLW, UFR des arts, Amiens, 2017.